Peziza varia

Les mycologues d’antan n’avaient que leurs yeux – et aussi leur nez et leur langue – pour appréhender les champignons, les regrouper, les ordonner et les classer. La classification reposait essentiellement sur des convergences morphologiques. C’était une classification macroscopique.

Avec l’avènement du microscope et de la chimie, la taxinomie fut fortement bousculée. Et maintenant, à l’heure de la génétique, de nouveaux bouleversements sont en cours.

Les fluctuations s’opèrent dans deux sens opposés : ou bien une espèce (dite collective) est scindée en plusieurs espèces distinctes, ou au contraire des champignons que l’on considérait comme différents sont regroupés en une seule et même espèce. C’est ce qu’il advint à notre pézize : Peziza varia (Hedwig : Fries) Fries.

Quand elle était dotée d’une sorte de petit pied et poussait sur le bois, elle portait le nom de Peziza micropus. Lorsqu’elle était lisse et cireuse, elle s’appelait Peziza cerea, et Peziza repanda quand elle se montrait particulièrement grande et bosselée-sinueuse.

Les pézizes observées présentement offrent une belle leçon de pédagogie : certaines, grandes ou petites, lisses ou côtelées-onduleuses, croissent sur un tronc mort couché au sol, pendant que d’autres colonisent les débris de bois mêlés à la terre, ou se répandent carrément sur la terre nue. Toutes possèdent de belles grandes spores elliptiques et hyalines, tout droit sorties de la ligne claire d’Hergé.

Une galle du genêt

Depuis la nuit de temps, les êtres humains n’eurent de cesse de regrouper, répertorier, ordonner, classer, collectionner les êtres vivants, et ils ne cesseront jamais de le faire – avec des moyens de plus en plus sophistiqués, telle la génétique.

Les étranges galles ou cécidies n’échappent pas à ce mouvement irrépressible et infini.

Environ 20 000 galles sont actuellement connues dans le monde – dont 1500 en France.

Mais qu’est-ce qu’une galle ? Dit d’une manière simple, c’est une déformation structurée (non anarchique) d’une plante (le plus souvent), provoquée par un parasite. D’une manière plus savante, c’est une anomalie de la morphogenèse d’un végétal (en général), se traduisant le plus souvent par une hypertrophie spécifique. Cette anomalie peut toucher n’importe quelle partie de la plante, et les agents gallogènes sont fréquemment des insectes (dans ce cas les larves sont visibles en sectionnant la galle), mais ce peut être aussi des acariens, des vers, des champignons, des bactéries, des virus.

Comme tous les êtres vivants, une galle est désignée par un binôme latin ; le premier mot est celui du genre auquel appartient du parasite, le second est celui de la plante-hôte. Ainsi notre galle, qui affecte les jeunes pousses du Genêt à balai, se nomme-t-elle Aceria* genistæ Nalepa.

Lors de nos promenades dans la nature, attachons-nous à découvrir les galles. Par l’extravagance de leur forme, de leur taille et parfois de leur couleur, elles appartiennent au monde enchanté de la tératologie végétale.

(13 février 2020)

*Aceria est un genre regroupant des acariens.

Un balai de sorcière

Promenons-nous dans les bois en hiver – en cette belle et vivifiante saison où le graphisme des arbres se dessine avec netteté sur le paysage.

Levez les yeux vers les cimes et, un jour ou l’autre, vous serez stupéfait(e) par d’énormes amas de branches, de rameaux – et d’aiguilles s’il s’agit de conifères – entremêlés et compacts, évoquant peu ou prou de gigantesques nids d’oiseaux… ou des balais de sorcière selon l’imagination populaire.

Ces déformations, malformations, sont en fait des formations tératologiques, dues au parasitisme de minuscules organismes : virus, bactéries, mycoplasmes, acariens, insectes… ou le plus souvent à des champignons : rouilles ou ascomycètes.

Les balais de sorcière affectent de nombreux arbres et autres plantes ligneuses : aulnes, bouleaux, charmes, hêtres, cerisiers, pruniers, chèvrefeuilles, sapins, pins… et, à l’instar des galles qui provoquent également des phénomènes tératologiques, ils ne mettent pas en danger la vie des arbres.

L’apparition d’un balai de sorcière se traduit par la prolifération de rameaux surnuméraires courts et serrés Il est souvent le clou d’une promenade, la curiosité à pas manquer. Celui de la photo embroussaille et sature de vert sombre le houppier d’un Pin maritime, autour de l’Étang de Bellebouche, en Brenne.

(6 février 2020)

Le sanglier blanc

Les biches, les cerfs et les chevreuils se détachent avec grâce dans le paysage, en lisière d’une forêt ou au milieu d’un pré. Leur forme est bien dessinée, leur contour est net, et l’on peut dire qu’ils participent de la ligne claire des aventures de Tintin.

Le sanglier, il n’en est rien. C’est une masse noire et hirsute, sans contour, et que la course sourde, obstinée, groin au sol, rend encore plus floue.

S’il est de nombreux champignons qui tiennent de la ligne claire des cervidés, il en est de bien plus nombreux encore qui relèvent de l’informe, du difforme, de la silhouette brumeuse du sanglier.

Profitons de ces considérations pour un brin de pédagogie : la forme est relativement de peu d’importance pour la détermination des champignons. Ceux dont l’aspect est classique naissent la plupart du temps avec un chapeau hémisphérique, qui s’aplanit en demeurant convexe ou en se creusant.

Mais les champignons sont irrésistiblement attirés par l’informe, le difforme, la tératologie, et dès que l’occasion se présente, à la faveur de conditions climatiques ou écologiques particulières : sécheresse, nourriture trop riche (tas de feuilles, composts), obstacles naturels, trop fortes pluies, gelées… ils se vautrent dans la déformation.

Ainsi en est-il de notre solitaire Pied de mouton : Hydnum repandum Linné : Fries, qui affrontant le gel et les giboulées répétés… se transforme en sanglier blanc.

(30 janvier 2020)