Le Cortinaire splendide

C’est au royaume immense des cortinaires que l’on trouve les plus rares et mirifiques champignons.

Cette extrême beauté est parfois couronnée par des noms prestigieux, tels le Cortinaire aux belles couleurs (Cortinarius calochrous), jaune de chapeau et violet de lames, le Cortinaire arc-en-ciel (Cortinarius arcuatorum), le Cortinaire très beau (Cortinarius pulcherrimus), au chapeau mauve violet lilacin tendre, le Cortinaire brillant (Cortinarius renidens), couleur abricot vif, le Cortinaire triomphant (Cortinarius triumphans), au pied guirlandé de jaune ochacé… ou encore les cortinaires jaunes et fulminants du groupe des Fulgentes, tels le Cortinaire très élégant (Cortinarius elegantissimus), le Cortinaire très fulminant (Cortinarius perfulmineus)… ou leur chef de file, jaune de la tête au pied, de la chair aux lames, du voile au mycélium, notre petit Cortinaire splendide : Cortinarius splendens Henry. Prenons un bain de jaune avec lui : son chapeau glutineux est jaune vif, il se macule de brun rougeâtre avec l’âge ; ses lames sont d’un jaune d’or saturé et persistant ; son pied, ses cordons mycéliens, ses restes vélaires sur le bulbe ainsi que sa chair sont intégralement jaune soufre.

Cortinarius splendens est rare ; on le rencontre çà et là en Brenne et dans la forêt de Lafeuf, sous les hêtres en terrain calcaire. Splendide… mais toxique !

La chair de ce cortinaire réagit en brun olivâtre à la potasse. Ses spores sont amygdaliformes (9-12 x 5-6 microns), densément verruqueuses.

(23 novembre 2023)

Éloge de la chinure

Chiner, au sens originel du mot, c’est faire alterner des couleurs sur des fils de chaîne avant de tisser une étoffe. Comme ce procédé vient de Chine, nous comprenons aisément l’origine de ce mot.

Les mycologues, toujours avides de vocabulaire se référant à des matières pour décrire un organe ou l’aspect d’un champignon, s’emparèrent avec délice des mots chiné et chinure – notamment pour évoquer le pied de nombreux champignons. Pour ce, ils élargirent le sens de ces mots, tantôt les appliquant à une alternance de deux couleurs sur fond plat, tantôt les utilisant pour suggérer un moutonnement bicolore en relief.

La Coulemelle entre dans la première catégorie : son pied est tigré-chiné de brunâtre sur fond beige.

Notre petit champignon, le Psilocybe écailleux : Leratiomyces squamosus (Persoon) Bridge & Spooner, appartient à la deuxième catégorie. Son pied est chiné de flocons blancs sur fond brunâtre, sous l’anneau. Son chapeau ochracé est semé de mèches blanches et ses lames sont violet grisâtre.

Le Psilosybe écailleux pousse discrètement sur des débris ligneux, dans l’aulnaie qui borde l’Étang de Tronçais.

(16 novembre 2023)

Des griffes et des feuilles

Grifola frondosa (Dickson) S. F. Gray est le nom scientifique de notre polypore.

Grifola vient de l’italien grifole : serres, griffes du griffon – cette créature fantastique à corps de lion, à tête et ailes d’aigle. C’est le naturaliste britannique Samuel Frederick Gray (1766-1828), qui, pris d’un délire métaphorique, trouva quelque ressemblance entre les nombreux pieds du champignon et les serres du griffon. Quant à l’épithète frondosa, elle vient nous rappeler que les multiples chapeaux font penser à des frondaisons (du latin frons : feuille, feuillage).

Mais notre champignon porte aussi le nom plus simple de Polypore en touffe, et surtout celui plus évocateur de Poule des bois.

Ce champignon est comestible jeune, à condition d’apprécier la forte odeur et saveur de farine. Il peut être confondu avec le Polypore en ombelle (également comestible), formé de nombreux petits chapeaux ronds, légèrement ombiliqués, et avec le Polypore géant, noircissant (non comestible).

En Berry, la Poule des bois se plait particulièrement au pied des vieux chênes et charmes.

(9 novembre 2023)

Deux couleurs fabuleuses pour un élégant polypore : bai et noir de poix

Les noms anciens de champignons ont le mérite, bien souvent, de nous plonger dans un passé plus ou moins lointain, en faisant référence à des objets, des ustensiles, des matières, des odeurs et des usages d’un autre temps, inconnus des jeunes générations. Ils participent en quelque sorte d’une archéologie de la vie quotidienne des siècles passés.

Qui connaît en effet la poix noire – cette résine impure issue de la distillation et de la combustion de débris de bois de résineux – d’un noir profond, épais, matériel, visqueux et lisse ? C’est à cette matière noire que le mycologue Elias Magnus Fries se référa pour nommer le Polypore à pied couleur noir de poix.

Mais cette particularité colorée entra en concurrence avec une autre couleur, fabuleuse elle aussi : la couleur brun roux, marron rougeâtre du chapeau de notre polypore, rehaussée par sa brillance et rappelant la robe baie de certains chevaux. Ainsi fut-il également nommé Polypore bai : Polyporus badius (Persoon) Schweinitz.

Légende de la photo : Le Polypore bai est rare en Berry. Il pousse sur les souches et les branches mortes de divers feuillus… c’est une belle émotion que de le découvrir.

(2 novembre 2023)

Deux monstres solaires : le Polypore soufré et le Polypore de Schweinitz

Le Polypore soufré est un grand dégorgement de bourrelets imbriqués-étagés, de matière glabre et onctueuse, jaune vif, jaune soufre, jaune-orange souvent touché de rose, en général situé à mi-hauteur sur le flanc de divers feuillus, dès la fin de l’été. De loin, une énorme fleur jaune qui hallucine le paysage.

Le Polypore de Schweinitz est une plantureuse omelette, sur les racines et les souches des conifères. De près, un épais et spongieux moutonnement velouté jaune poussin, qui donne irrésistiblement envie de le caresser. Mais le jaune fou du feutrage est éphémère, il évolue rapidement vers un brun sombre, qui fut à l’origine de son nom scientifique : Phaeolus schweinitzii (Fries) Patouillard (du grec phaios : sombre).

Pendant que le jaune saturé du Polypore de Schweinitz s’enténèbre, celui du Polypore soufré s’édulcore et blanchit. Tout le champignon devient alors caséeux, il se casse comme un fromage sec dont on retrouve les débris au pied de l’arbre. Nous assistons alors à l’éclipse des deux monstres solaires.

Légende de la photo : le Polypore de Schweinitz peut être observé, entre autres, à la base des Pins maritimes, autour de l’étang de Bellebouche

(26 octobre 2023)