Des champignons et des arbres

De nombreux champignons voient leur nom associé à l’arbre sur lequel ou sous lequel ils sont censés pousser. Ainsi en est-il de la Pholiote du peuplier, qui pousse sur les souches et racines de peupliers, certes, mais non exclusivement. Il serait donc plus juste de dire : qui pousse majoritairement, principalement, généralement, le plus souvent… sur les peupliers, car elle vient aussi sur les saules, et plus rarement sur les marronniers, telle celle photographiée sur la place de Velles. Forts de cette observation, nous pouvons nous demander si le bois de ces arbres ne présente pas quelque affinité, telle la tendresse relative, la couleur pâle… ?

La liste des noms de champignons en rapport avec un arbre est longue, et mériterait bien sûr d’être nuancée. Et les observations, de niches écologiques parfois inédites, constituent des découvertes gratifiantes, qui agissent comme une ouverture du vivant, comme un élargissement des relations que les êtres vivants entretiennent entre eux.

La Pholiote du peuplier : Cyclocybe cylindracea Vizzini & Angelini, est un excellent comestible.

(27 octobre 2022)

La mortelle Amanite phalloïde

La mortelle Amanite phalloïde

Si l’on s’en tient à l’étymologie, à la subjectivité du grand mycologue suédois Elias Magnus Fries, l’Amanite phalloïde est un phallus… ou plus précisément un champignon semblable à un phallus, le suffixe oides étant là pour signifier la ressemblance. Mais l’évocation ne fonctionne que lorsque le champignon est très jeune, qu’il n’a pas encore ouvert son chapeau, dévoilé son anneau en jupe, et surtout arboré sa grâce féminine, consacrée par son nom féminin : Amanite phalloïde.

Féminine, élégante et belle… elle est. Et même plus : femme fatale, vêtue de ce vert olive inquiétant, peignée de fibrilles innées… qu’elle soutira au règne végétal : il n’est pas concevable, en effet, qu’un champignon, organisme sans chlorophylle des sous-bois obscurs, s’approprie le vert solaire et vital des végétaux… pour l’inverser en un vert mortel. Cette confusion de règne, cette incongruité apparaissent au reste dans l’un de ses noms vernaculaires : Oronge ciguë verte.

L’Amanite phalloïde : Amanita phalloides (Fries) Link, entame sa funeste poussée dans les bois et clairières du Berry. Le caractère le plus important pour la reconnaître est sa volve membraneuse, blanche et épaisse, en sac, qui engaine la base de sa jambe.

L’Amanite phalloïde, très fréquente en Berry, est le champignon qu’il faut connaître avant tous les autres, car elle est responsable de 95% des intoxications mortelles en France.

(20 octobre 2022)

Du félin au serpent

Existe-t-il une affinité entre les félins et les serpents ? Entre ces animaux à sang chaud, souples et agiles, dont la chaleur semble attisée par le pelage doux et lustré… et ces animaux à sang froid, les serpents , dont la disposition des écailles relève de l’art de la marqueterie ?

Eh bien oui !… C’est un champignon qui nous le dit, la grande Coulemelle, qui se fait appeler aussi bien Nez de chat que Couleuvrée, Agaric couleuvre. Il est vrai que son mamelon est mignon comme le nez d’un chat, et que par ailleurs, son chapeau semé de mèches régulières et sombres, ainsi que son pied droit tigré-chiné évoquent tantôt un félin, tantôt un serpent.

Il est d’autres champignons dont le nom est attaché à celui d’un félin, tels le Plutée couleur de lion, le Lentin tigré,, l’Amanite panthère, le Tricholome léopard, la Lépiote féline… mais aucun d’entre eux ne l’incarne mieux que notre grande Coulemelle.

Son nom scientifique : Macrolepiota procera (Scopoli : Fries) Singer, fait état de ses écailles sur le chapeau (Lepis) pendant que son nom français : Coulemelle, met l’accent sur son pied droit et majestueux, dressé telle une colonne. Et le mot Coulemelle ne glisse-t-il pas phonétiquement, naturellement vers les mots couleuvreé et couleuvre…

Notre grande Coulemelle a choisi de fleurir… parmi les cyclamens.

(13 octobre 2022)

Le Bolet Satan

Un souffleur de verre est-il passé dans la nuit… pour que nous assistions, médusés, à l’étrange mise en scène de champignons-bouddhas, obèses, ventrus, boursouflés et volontiers généreux en bourrelets ?

Car c’est bien cette métaphore du souffleur de verre qui nous empoigne, quand, dans un taillis de feuillus calcaires – dans le Bois-du-Roi ou dans la forêt de Laleuf par exemple – nous assistons ébahis au fleurissement insensé du Bolet Satan.

Il est immédiatement reconnaissable par son chapeau blanc, blanc-gris mastic, blanc sale, blanc brunâtre olivâtre, qui contraste spectaculairement avec ses pores rouge sang, son pied rouge sang orné d’un beau réseau concolore. Par temps sec, son chapeau peut se charbonner et se crevasser de noir, évoquant alors des ongles sales.

Le Bolet Satan : Rubroboletus satanas (Lenz) Kuan Zhao & Zhu L. Yang, est accompagné – et même souvent précédé – par le Bolet radicant, de stature identique, de même couleur de chapeau, mais à pores jaunes – ainsi que de deux autres bolets thermophiles moins rondouillards, tels le Bolet blafard et le Bolet de Quélet.

Tous ces magnifiques bolets sont toxiques.

Le Bolet Satan ouvre la saison des champignons. Mais il est frileux… et disparaît aux premiers froids.

(6 octobre 2022)

Invasion rose, invasion bleue

Invasion rose, invasion bleue

Rien n’est plus troublant, chez les gros bolets, que cette invasion rose par la marge, que ce rose qui monte comme une marée, comme une encre dans un buvard, comme un rouge aux joues qui envahit le timide.

Chez notre bolet, dit le Bolet blafard : Suilletus luridus (Schæffer : Fries) Murill, la propagation rose inonde la surface brun café au lait à miel olivâtre du chapeau, lui ôtant alors son aspect livide.

Mais le rose gagne aussi par le pied, monte de la pointe radicante rouge betterave vers le jaune gravé d’un réseau rougeâtre en relief, et vers les pores rouge orangé.

À cette invasion rose succède, quand nous coupons le champignon, une invasion plus violente, plus mystérieuse : la chair devient immédiatement bleu indigo à l’air.

Rappelons que le bleuissement de la chair n’a rien à voir avec une quelconque toxicité : c’est une simple oxydation à l’air. Certains bolets bleuissants sont comestibles, tel le Bolet à pied rouge : Boletus erythropus, d’autres sont toxiques, tel notre Bolet blafard.

Le Bolet blafard se plait sous les feuillus, sur les sols argileux, et terrain ouvert, notamment sur les chaussées des étangs brennoux.

(29 septembre 2022)

Note :

Les Bolets blafards observés cet automne sur la chaussée de l’Étang Lajonc, à Velles, sont imprégnés de rose à la marge, contrairement à ceux des années passées, qui en sont dépourvus.
Cette particularité est mentionnée tant dans le Guide des champignons de Guillaume Eyssartier & Pierre Roux : chapeau ochracé rosâtre à rose… que dans Les champignons d’Europe tempérée de Thomas Læssoé & Jens H. Petersen : chapeau jaune miel, brun cannelle à brun olivâtre, parfois avec des teintes rouge-violet.

Suilletus mendax et Suilletus comptus , proches de Suilletus luridus, ont un réseau seulement en haut du pied, et sont ponctués de rouge en dessous.

Suilletus queletii est totalement dépourvu de réseau.

Esthétiques panicauts

Au sein de la prestigieuse famille des Ombellifères, les panicauts, par leurs ombelles transformées en pseudocapitules et leurs épines, en constituent le genre le plus original, atypique et étonnant.

Ces distinctions tout à fait spectaculaires, ainsi que des tonalités souvent bleutées ou violacées, confèrent aux panicauts une beauté qui séduisit bien des amateurs de jardins. Ainsi, nombre d’espèces eurasiatiques et américaines embellissent désormais les jardins botaniques, les parcs, les aménagements floraux dans les villes, les ronds-points… en un élan esthétique qui fait également la part belle aux Graminées.

Notre Panicaut géant : Eryngium giganteum Bieberstein, originaire des montagnes du pourtour de la Mer Noire, est particulièrement prisé et cultivé en France. On peut l’admirer, entre autres, sur le rond-point qui fait face à la Cité Administrative de Châteauroux, où il cohabite avec le Panicaut à feuilles d’agave, qui lui, est originaire d’Argentine.

À cette époque de l’année, notre Panicaut géant nous offre un joli contraste brun chocolat-blanc nacré.

Un cultivar du Panicaut géant fut nommé Miss Willmott’s Ghosf… en l’honneur de cette demoiselle, qui l’introduisit en catimini dans les jardins de toutes ses amies.

(22 septembre 2022)