Elle n’a pas dit son dernier mot

L’Amanite phalloïde – alias l’Oronge ciguë verte – apparaît dès le mois d’août s’il est pluvieux, et s’attarde jusqu’au cœur de novembre, voire de décembre si le gel ne l’incommode pas trop. Je viens de la rencontrer dans les bois, dans ses plus beaux atours : chapeau vert olive satiné de blanchâtre, jambe verdâtre zébrée de zébrures argentées, ornée d’une volve et d’une jupe membraneuses blanches, lames pâles touchées d’une lueur jaunâtre.

Facétieuse, l’Amanite phalloïde l’est quand elle se voile de blanc pur, se farde de jaune, de vert olive, ou se cache derrière une mine sombre, grise ou brune dans la vétusté.

Mortelle elle est : cinquante grammes de sa personne suffisent à envoyer le mycophage imprudent dans l’autre monde. Mais elle n’est funeste que pour qui la convoite, veut la manger et transgresse ainsi les lois de la nature. Car pacifique elle est, n’aimant rien d’autre que de se laisser admirer.

L’Amanite phalloïde : Amanita phalloides (Fries : Fries) Link, très courante en Berry, est le champignon le plus dangereux qui soit.

(25 novembre 2021)

Zones concentriques

Les mots zone et zoné sont fort usités en mycologie, dans une acception qui descend en droite ligne de leur étymologie latine : de zona : ceinture.

Dans sa bible du vocabulaire descriptif des champignons, Marcel Josserand nous donne une définition précise du mot zone : trace, marque annulaire tranchant sur le fond, soit simplement par sa teinte, soit par les accidents superficiels, donc par un léger relief. Peuvent présenter des zones : ou bien le chapeau – elles sont alors multiples et concentriques – ou bien le pied, et elles se présentent dans ce cas sous l’aspect de traces annulaires ou de bracelets étagés.

Notre Lactaire zoné : Lactarius zonarius (Bulliard) Fries, d’une belle couleur uniforme ocre jaune attisée par une forte viscosité, montre distinctement une douzaine de zones concentriques teintées de roux orangé. Il laisse couler un lait blanc, immuable, et dégage une odeur fruitée-acide. Il se plait sous les chênes en terrain calcaire. Comme tous les lactaires à lait blanc, le Lactaire zoné est immangeable.

(18 novembre 2021)

L’humanité en progrès

Je me fais souvent taper sur les doigts quand je parle de progrès humain, aussi infime soit-il. Mais je veux y croire. J’y crois ! De petits progrès, à petits pas, j’en connais des dizaines depuis mon enfance, et je m’accroche à eux comme à une bouée de sauvetage. Par exemple, alors que nous étions de petits entomologistes criminels, armés de notre bocal à cyanure pour les papillons et de notre bocal à éther pour les coléoptères, plus un seul entomologiste maintenant ne tue un insecte.
Un autre exemple vient de me réjouir le cœur. Je retourne un peu en arrière : Cet été, à Bellebouche, sur une grosse souche de chêne devant le restaurant de la plage, pleurait à grosses larmes ambrées un énorme… que dis-je, un monstrueux polypore ! Je ne pus m’empêcher de penser : Quel montre de beauté !… pourvu que personne ne lui donne un coup de pied… par peur, par méchanceté. Eh bien figurez-vous que tout récemment, je retrouvai le monstre paisible, ayant pris de l’embonpoint sur sa souche. Personne ne l’avait agressé, vandalisé. Je fus alors parcouru d’un frisson de bonheur, d’un immense espoir en notre humanité.

Pseudoinonotus dryadeus développe ses énormes consoles annuelles sur les chênes.

(11 novembre 2021)

Rêves de viscosité

Quand les rêves d’humidité chaude, de fusion des corps s’alourdissent, s’alentissent, ils dérivent vers des rêves de viscosité.

La viscosité est un paramètre essentiel dans le monde des champignons. Beaucoup d’entre eux sont visqueux, principalement sur le chapeau mais aussi sur le pied. Par temps humide, la viscosité plus ou moins épaisse nous saute aux yeux et nous colle les doigts. Par temps sec, les débris végétaux et de terre agglutinés trahissent une viscosité momifiée ; et plus que nos doigts alors, c’est notre langue qui nous permet de l’appréhender, et qui nous renseigne de surcroît, sur son éventuelle amertume.

Les mycologues mirent à leur disposition un vocabulaire diversifié et nuancé pour exprimer la viscosité. Citons par exemple les adjectifs visqueux, viscidule, gluant, glutineux, muqueux, mucilagineux, glaireux.

Par ailleurs, nombre de champignons témoignent de leur viscosité par l’étymologie grecque ou latine de leur nom. Pour exemple les Myxacium (muxa : morve), les Phlegmacium (phlegma : humeur),les Ixocomus (ixos : glu)… ou encore notre bolet : Suillus collinitus (Linné : Fries) Kuntze (du latin collinere : enduire, oindre).

Son spectaculaire chapeau bronze obscur vergeté de brun-noir, ses pores jaune vif et son mycélium rose en font un magnifique champignon qui s’épanouit sous les pins en terrain calcaire.

(4 novembre 2021)