La Danthonie décombante

D’après son qualificatif, cette modeste graminée est censée ne pas pouvoir se soutenir par elle-même, donc sujette à se courber et tomber vers le sol (du latin decumbens : retombant, se couchant).

Mais notre réalité sensible refuse cette image : la petite Danthonie ne ploie nullement sous son propre poids, bien au contraire, ses chaumes raides et robustes tissent au niveau de la touffe un entrelacs de tiges et de panicules serrées, divergentes et écartées en tous sens. En regard de cette structure, elle eût amplement mérité le qualificatif de divariquée.

Petite mais rondelette, Danthonia1 decumbens2 (Linné) de Candolle exhibe ses gros épillets verts, argentées-violacés, ovales et peu nombreux. Et mine de rien, elle est sacrément velue : sur les gaines, à la base des feuilles ; et sa ligule est remplacée par une touffe de poils.

Notre graminée se plaît sur les sols à battement d’eau, acides et volontiers sablonneux. Elle abonde en forêt de Châteauroux, dans les layons plus ou moins inondés qui arrivent perpendiculairement à la route forestière de Clavières, en direction de l’Étang de Berthommiers.

(28 mai 2020)

1Danthonia : genre dédié au botaniste marseillais Danthoine, qui étudia les graminées de Provence au début du XIX ème siècle.

2La seule faiblesse de cette graminée se situerait éventuellement au niveau des genoux qui se plient facilement. Mais ne s’agirait-il pas plutôt de souplesse, lui permettant de rester droite ou de se pencher ?

La Vulpie bromoïde

Pour nommer les êtres vivants, les naturalistes eurent souvent recours aux analogies, au jeux de ressemblances. Telle plante, par exemple, en rappelle une autre à un botaniste, et il la baptise en référence à cette dernière – déjà nommée en général et mieux connue.

Diverses modalités linguistiques sont à la disposition du botaniste pour transférer le nom d’une plante vers une autre. L’une des plus courantes est l’emploi du suffixe latin oides1 – issu du grec eidês, servant à former des adjectifs composés dans le sens de semblable à. Ce suffixe fut également introduit dans la langue française, en voici quelques exemples : astéroïde, ellipsoïde, sinusoïde, conchoïde, phalloïde, bizarroïde.

Revenons à notre graminée. Elle se nomme Vulpia2 bromoides (Linné) Gray. Sa traduction française est Vulpie faux-brome, ou Vulpie bromoïde – ce qui est un bien gros mot terrifiant (mais plus poétique) pour une si petite herbe qui passe totalement inaperçue sur les chemins sablonneux, les vieux murs et dans les friches pionnières.

Avec ses longues arêtes, elle ressemble un peu à un brome en miniature, et elle est proche d’une autre vulpie qui partage les mêmes milieux : la Vulpie queue-de-rat. Cette dernière présente une inflorescence plus allongée, engainée à sa base par la feuille la plus haute, et des glumes très inégales (Chez notre Vulpia bromoides, l’inflorescence est courte, dépourvue de feuille engainante, et les glumes sont moins inégales).

(21 mai 2020)

1Pour rester dans le domaine des graminées, citons Leersia orizoides (Leersie faux-riz), Digitaria paspaloides (Digitaire faux-paspalum), Aristella bromoides, Psilurus nardoides… et d’autres noms de plantes dont la ressemblance avec une autre est marquée soit par le suffixe forme, formis : Puccinellia festuciformis, Puccinellia poiformis… soit par le nom de la plante référente elle-même : Phalaris arundinacea (Arundo : Roseau), Stipa juncea (ressemblant à un jonc), Bromus hordeaceus (Hordeum : Orge), Bromus secalinus (Secale : Seigle)…

2Vulpia : Nom de genre dédié au botaniste badois J. Sam Vulpius (1760-1846).

La Glycérie flottante

Entrer dans le monde des glycéries, c’est entrer en arithmétique. Tout y est compté, et mesuré au dixième de millimètre près. Examinons notre plante au filtre de la monographie des glycéries de Robert Portal, et laissons-nous bercer par les nombres*… rassurez-vous, seulement quelques secondes : épillets de 11 à 13 fleurs, de 20 à 30 mm de longueur ; glume inférieure oscillant entre 2 et 3,8 mm, glume supérieure entre 2,8 et 5 mm, lemme entre 5,8 et 8 mm, anthère entre 1,5 et 3 mm.
Mais abandonnons la loupe et la règle pour nous approcher de la mare. Nous avons devant les yeux le spectacle d’un radeau flottant vert, d’où se dresse mollement et ploie un entrelacs de chaumes, de feuilles, et de longs épillets qui furètent et jouent avec le soleil comme des lépismes d’argent, et où se balancent les petits grelots violets des anthères.

La Glycérie flottante : Glyceria fluitans (Linné) Brown, très commune en Berry, est volontiers consommée par les chevaux et les vaches, et les grains sont convoités par les oiseaux et les poissons. Dans les temps anciens, les humains n’étaient pas en reste, car les grains – à la saveur douce (glukeros en grec) – étaient utilisés pour agrémenter les soupes au gruau et les porridges.

(14 mai 2020)

*Ces nombres sont indispensables, entre autres, pour différencier notre glycérie de deux glycéries proches et communes, toutes deux présentes en Berry : Glyceria declinata et Glyceria notata, dont les pièces florales sont plus petites.

Jeux de ressemblances

Une petite inflorescence condensée, composée de deux ou trois épis femelles d’où émerge un épi mâle apical… et voici que notre petite laîche se met à ressembler à un œillet – éminent représentant de la famille des Caryophyllacées, regroupant des plantes à feuilles opposées insérées sur des nœuds renflés (du grec karuon : noyau, nœud).

À cet effet, elle fut baptisée Carex caryophyllea Latourrette.

Mais cinq autres petites laîches eussent pu prétendre au même nom : la Laîche des bruyères, la Laîche des montagnes, la Laîche à pilules, la Laîche tomenteuse et la Laîche des ombrages. Toutes ont en commun trois caractères : un seul épi mâle, et des utricules pubescents à trois stigmates.

Pour les différencier, il convient d’observer attentivement l’aspect de la bractée inférieure et des utricules, la structure des organes souterrains et l’habitat.

Notre Laîche-œillet se singularise par sa bractée engainante, ses utricules courtement pubescents, et par son architecture souterraine constituée d’axes horizontaux très allongés, qui donnent naissance latéralement à de petites rosettes de tiges fleuries. À la surface du sol, elle s’étale en nappe.

La Laîche-œillet est précoce. Elle est assez fréquente en Brenne, mais extrêmement discrète. C’est à quatre pattes qu’il faut la rechercher, dans les pelouses et landes peuplées par la Luzule champêtre.

(7 mai 2020)

Rêverie bleue

Un jour, Claude Monet a voulu que la cathédrale fût vraiment aérienne – aérienne dans sa substance, aérienne au cœur même de ses pierres. Et la cathédrale a pris à la brume bleuie toute la matière bleue que la brume elle-même avait prise au ciel bleu. Tout le tableau de Monet s’anime dans ce transfert du bleu, dans cette alchimie du bleu. Cette sorte de mobilisation du bleu mobilise la basilique. Sentez-la, en ses deux tours, trembler de tous ses tons bleus dans l’air immense, voyez comme elle répond, en ses mille nuances de bleu, à tous les mouvements de la brume. Elle a des ailes, des bleus d’aile, des ondulations d’ailes.

Gaston Bachelard, Le droit de rêver

Ce texte magnifique de Gaston Bachelard sur la cathédrale de Rouen eût tout aussi bien pu, et peut-être même mieux, s’appliquer à un champ de lin. À ce friselis bleu azur parcouru d’une ondulation grisâtre, qui se meurt dans le lointain brumeux de l’orée d’un bois, se régénère en vert tendre, virevolte tel un vol d’étourneaux, ondoie, et roule à nouveau vers nous son flanc céruléen.

Le Lin cultivé : Linum usitatissimum Linné, se démarque des lins sauvages, entre autres, par ses feuilles linéaires-lancéolées et ses sépales acuminées, à marge membraneuse-ciliée. Des cultures il s’échappe parfois…

(30 avril 2020)