Le Petit-Houx

Le Petit-Houx, botaniquement parlant, n’a rien à voir avec le Houx, sinon qu’il est toujours vert et arbore comme lui des boules rouges au moment de Noël, qu’il pique et qu’il est dioïque comme lui, c’est-à-dire portant les fleurs femelles et les fleurs mâles sur des pieds différents.

Le Petit-Houx : Ruscus aculeatus Linné, est un sous-arbrisseau buissonnant. Après avoir fait partie de la famille des Liliacées, il participe désormais des Asparagacées, en compagnie des asperges, des agaves, des yuccas, du muguet, des jacinthes, des muscaris, des ornithogales, des sceaux-de-Salomon…

Ses feuilles sont réduites à des écailles, et ce que l’on prend pour des feuilles sont en fait des rameaux aplatis et coriaces, terminés en épine : les cladodes. C’est à l’avers de ces cladodes, chez les pieds femelles, que s’épanouit le fruit rouge et brillant, plus gros que celui du Houx, et également toxique.

Le Petit-Houx affectionne les bois et les haies calcaires du Berry. Mais il est très long à s’installer. Son implantation dans une haie, alors, est une excellente nouvelle. Elle prouve que la haie est ancienne et n’a pas subi de bouleversement. Le Petit-Houx porte de nombreux et pittoresques noms vernaculaires : Fragon, Bois piquant, Buis piquant, Épine-de-rat, Myrte épineux, Prébouisset, Houx-Frelon…

(24 décembre 2020)

Boursouflures jaunâtres

Ce moutonnement inquiétant attire l’œil de loin.

Qu’est-ce ? Des mousses jaunes ? De grosses bulles d’un jaune douteux qui gargouillent de la terre ? De l’écume fangeuse comme il en clapote parfois sur le bord des étangs par un jour de grand vent ?

Je m’approche.

Surprise ! Ce sont des ramaires ! Toute une colonie de ramaires, en coussins serrés jaunâtres, et certaines déjà brun rouille de l’avancée en âge. Regroupées à touche-touche, fleuries, comme par génération spontanée, d’un petit parterre complètement et curieusement artificialisé, de jeunes aulnes sur un terreau de sciure. En conciliabule.

De toute ma vie de mycologue, je n’ai jamais vu ça. J’en suis tout ébahi, étourdi. Les champignons n’en ont jamais fini de nous réserver des surprises.

Je m’approche de plus près.

Les coussins sont grands et compacts, d’un jaune pâle vite imprégné de rosâtre. Les troncs, serrés à la base, montent droit et se divisent en de nombreux rameaux terminés par deux ou trois pointes jaune citron. Avec l’âge, ils prennent un teinte brune, sucre candi, puis deviennent brun purpurin. Ils sont inodores, mais de saveur amarescente. Le mycélium et les rhizomorphes sont blancs.

Tout ceci est fort intéressant, mais pas encore suffisant pour attribuer un nom à ces ramaires. C’est le microscope qui tranche : les spores, brun jaunâtre, oblongues-elliptiques, si finement verruqueuses qu’elles en paraissent lisses, mesurent 7-9 x 4-5 microns. Et les cordons mycéliens sont truffés d’hyphes squelettiques. Il s’agit de Ramaria stricta f. compacta Christiansen.

(17 décembre 2020)

La Lépiote de Konrad

Trois grandes iconographies mycologiques bercèrent mes débuts de mycologue – et on ne saurait trop rappeler l’importance des images, des dessins et des aquarelles dans le déclenchement de vocations en Histoire Naturelle.

Ces trois iconographies sont les suivantes :

– Iconographia Mycologica, (19291), de l’abbé Giacomo Bresadola, en huit volumes, dont la finesse, la légèreté et la précision des aquarelles préfigurent le début des monographies italiennes : Fungi Europæi, et les dessins aux crayons de couleur de Pierre Moënne-Loccoz dans la monumentale monographie : Atlas des cortinaires, en vingt-quatre pars.

– Icones Mycologicæ, (1905), d’Émile Boudier, en cinq grands volumes, d’une grande finesse aussi mais d’un dessin et d’un contraste plus appuyés.

– Et Icones selectæ Fungorum, (1924), de Paul Konrad & André Maublanc, en six volumes, aux dessins en apparence plus grossiers, entourés au trait et aux tons plus tranchés, mais au charme pénétrant.

La Lépiote de Konrad : Macrolepiota konradii (Huijsman ex Orton) Moser, participe d’un trio2 de coulemelles comestibles, moyennes à grandes, non brunissantes ni rougissantes, à pied lisse ou chiné, et que certains auteurs synonymisent. Mais au fil d’années d’observations, la Lépiote de Konrad semble bien se démarquer comme une espèce à part entière, caractéristique par son chapeau crème peu mamelonné, dont le centre est éclaté en une calotte étoilée brun roux à brun chocolat.

La Lépiote de Konrad est automnale, mais elle s’attarde volontiers jusqu’au début de l’hiver dans les bois du Berry.

(10 décembre 2020)

1Les dates indiquées correspondent au début des publications, qui s’étalent sur plusieurs années.

2Macrolepiota konradii, mastoidea et gracilenta composent ce trio.

Le nom des champignons

Voilà des années et des années que des mycologues français se réunissent et œuvrent pour tenter d’attribuer un nom français à chaque champignon, en commençant par les plus courants.

Tâche titanesque, peut-être quasi impossible, et ce pour plusieurs raisons.

Il faut d’abord tenir compte du nom scientifique latin, rarement judicieux (ça arrive cependant et c’est alors un état de grâce), la plupart du temps vague, n’apportant rien, voire inapproprié, complètement erroné, et parfois entaché d’énormités grammaticales. Les mycologues philologues essaient donc d’adapter, tant bien que mal, un nom français à un nom latin bancal, mais c’est toujours du bricolage, du rapiéçage, et même souvent une véritable acrobatie.

Le deuxième obstacle est la divergence, pour ne pas dire la cacophonie fréquente, des perceptions, des subjectivités, voire carrément des idées : on se dispute pour nommer un champignon, comme on se dispute pour nommer une rue, un espace public.

Notre russule en est un édifiant exemple. Son nom scientifique : Russula vesca Fries, nous indique qu’elle est comestible. Mais toutes les autres russules mangeables pourraient être appelées ainsi. En revanche, certains mycologues lui trouvent un rose particulier, un rose vieux rose, un rose jambon. Ils l’appellent alors Russule vieux rose, ou Russule jambon – ce qui correspond mieux à la réalité tangible du champignon, mais qui n’a rien à voir avec le nom d’origine… sauf peut-être pour les amateurs de jambon.

(3 décembre 2020)