Des plantes pionnières et des fantassins

L’étymologie nous le dit : les plantes pionnières ont une lointaine parenté avec les pions, les pionniers – mots qui à l’origine désignaient les fantassins qui, comme on le sait, se déplaçaient et combattaient à pied (pion descend du latin pes, pedis : pied).

Le sens du mot pionnier glissa ensuite vers celui de colon s’installant sur une terre inhabitée pour la défricher… jusqu’au sens figuré actuel de bâtisseur, promoteur, créateur.

La botanique récupéra à son tour le mot pour qualifier des plantes s’implantant sur des espaces plus ou moins vierges, nus, non encore végétalisés : eaux douces, sables, éboulis, emplacements libérés par la fonte des neiges, pentes volcaniques après une éruption, champs après culture, sites de terrassement…

Tel est le cas d’une graminée de fin d’été, la Sétaire blonde : Setaria pumila (Poiret) Rœmer & Schultes, championne des vues à contre-soleil. Elle est caractéristique et particulièrement esthétique grâce à ses courts rameaux stériles ornés de longues soies jaunes ou oranges et, sous la loupe, par les jeux de lumière d’une écaille transversalement ridée, évoquant des friselis sur le sable dessinés par le vent et la marée.

Légende de la photo : Des gerbes de Sétaires blondes jaillissent d’un fossé récemment creusé, à la croisée de la route de Bouesse et du chemin du Guignier, à la sortie de Velles.

(28 septembre 2023)

L’Ombellifère en jupettes

Avoir une culture botanique, c’est certes connaître un certain nombre de plantes, leur place dans la classification, leur milieu de vie… mais c’est aussi et surtout jouir d’une vue panoramique et de détail sur la flore. Cela nous permet d’opérer des rapprochements, d’établir des convergences, de faire saillir des spécificités… aussi subjectives soient-elles.

Ainsi la Petite ciguë : Aethusa cynapium Linné, nous interpelle-t-elle par ses bractéoles spatuliformes déjetées vers l’extérieur et qui flottent comme des jupettes au-dessous des fleurs et des fruits.

Fort de cette singularité, de cette subjectivité, le botanise peut transférer cette impression à certaines orchidées du Berry, par exemple à deux d’entre elles dont les fleurs évoquent tantôt de petits bonshommes suspendus (chez l’Orchis homme-pendu), tantôt des singes (chez l’Orchis singe).

Eu égard à cette analogie, notre plante eût mérité de s’appeler l’Ombellifère en jupettes.

Légende de la photo : La Petite ciguë pousse dans les milieux rudéraux et les jardins. Toxique, elle se distingue du persil et du cerfeuil par ses bractéoles en jupe, ses fruits ovoïdes à côtes épaisses et son odeur fétide.

(21 septembre 2023)

Éclat d’un rouge de fin d’été

Le rouge vif de la baie en épi compact de l’Arum maculé n’est ni le rouge du sang, ni le rouge du feu. Il pourrait être le rouge de Mozart (portrait posthume peint par Barbara Krafft en 1818), ou le rouge de Marilyn Monroe (photographie de 1954), joliment représentés dans le livre de Michel Pastoureau : Rouge, Histoire d’une couleur.

Le rouge de notre plante, extrêmement graphique et circonscrit, brillant mais non diffusant, tranche merveilleusement avec les gris, les jaunâtres et brunâtres de fin d’été, et avec le vert qui est sa couleur complémentaire. L’Arum maculé ou Gouet : Arum maculatum Linné, est un curieux végétal. Il est muni d’une spathe en cornet verdâtre d’où émerge un spadice en massue violet, autour duquel s’agglomèrent les fleurs sans pétales ni sépales, réduites aux étamines et au pistil.

Les feuilles, longuement pétiolées, hastées-sagittées, souvent maculées de brun-noir, ne se développent qu’après l’hiver, à l’instar par exemple des cyclamens.

En cette période de l’année, le Gouet est un éclat rouge dans la nature.

(14 septembre 2023)

Rêves de velours : le Phellin à bourrelet

Il n’est point d’autre polypore qui renvoie à ce point la sensation de velours et de velouté. De velouté brun, chaud et doux, tel que nous le connaissons avec les cervidés, ou tel que nous l’enseignait ce suave objet à usage ménager : la peau de chamois.

Et velouté… ce polypore l’est intégralement : en sa gorge, en son lippu bourrelet du chapeau, et sur son chapeau lui-même.

Notre polypore, le Phellin à bourrelet : Fuscoporia torulosa (Persoon) Wagner & Fischer (du grec phellos : liège, et du latin torulus : bourrelet), est assez courant dans le bocage berrichon, mais il fait preuve d’une discrétion absolue : tapi à la base de divers feuillus vivants ou morts, emmitouflé sous les mousses et les feuilles, mimétique, il passe totalement inaperçu pour le promeneur non averti.

D’affinité méridionale, il aime les milieux chauds et secs. Ainsi s’installe-t-il dans les haies orientées au sud ou au sud-ouest.

Ce Phellin à bourrelet fut photographié au mois d’août à Gargilesse-Dampierre, près de l’église, à la base d’un robinier.

(7 septembre 2023)

À la recherche du sosie

Lorsqu’on a coutume de rencontrer le Phellin robuste – ce polypore en sabot de cheval, à tonalités brunes et veloutées, dense, lourd et pérennant, çà et là dans les forêts du Berry, sur chênes… qu’y a-t-il alors de plus motivant, de plus désirable et obsédant que de rechercher son sosie montagnard des Sapins blancs !

Cette quête passionnée fut récompensée cet été dans la forêt des Hares, en Ariège. Sur le sentier qui monte à l’étang de Balbonne : un spécimen du Phellin d’Hartig (le sosie) : Fomitiporia hartigii, accompagnait en position horizontale un tronc de Sapin blanc couché sur le flanc.

Hormis leur habitat différent, ces deux polypores sont en tous points semblables… si ce n’est qu’ils se disputent la présence ou l’absence de pseudosoies sous le microscope.

Ces deux polypores, autrefois appartenant au genre Phellinus, participent d’un groupe extrêmement complexe de champignons, dont les spécialistes se comptent sur les doigts d’une main.

Le Phellin de Hartig (dépourvu de pseudosoies), est un polypore rare des forêts de Sapins blancs.

(31 août 2023)