La Tramète versicolore

Le galbe flabellé de cette tramète, souligné par la beauté régulière du dessin, l’éclat sombre de son velours, ses couleurs chatoyantes mais discrètes, ont tenté modistes et orfèvres. Les élégantes de la Belle Époque ont paré leur coiffure de ce papillon des bois et l’ont fait monter en broche. (André Marchand)

La coloration de cette tramète est tellement variable qu’elle échappe à toute tentative de description. Mais elle se caractérise par la présence de zones concentriques, satinées-luisantes et nues, alternant avec des espaces courtement veloutés et mats. ( Henri Romagnesi)

Les avis de ces deux mycologues-poètes, mycologues-littéraires, qu’étaient André Marchand et Henri Romagnesi, donnent une idée de la beauté insaisissable, versicolore de ce champignon.

La gamme de variation de ses couleurs est impressionnante. Elle oscille du blanchâtre au noir, en passant par des teintes crème, beiges, jaunâtres, fauve, ocre, brun-roux, orangées, bistre noirâtre, grises, bleu nuit.

Malgré ce feu d’artifice de couleurs, cette tramète : Trametes versicolor Linné, est facilement reconnaissable par son chatoiement, sa minceur et la pureté blanche de ses pores à l’état frais. Elle est extrêmement fréquente sur toutes sortes de feuillus vivants ou morts, et embellit nos promenades dans la nature en toutes saisons.

(25 février 2021)

Le Sparassis crépu

Ce curieux champignon tient tout entier dans son nom. Il se présente comme une masse volumineuse, beigeâtre à ochracée, en chou-fleur ou en salade frisée selon la métaphore, épaisse, molle-élastique, constituée de rameaux en lanières, de plis contournés et sinueux, à nombreux lobes incisés sur le bord… ce qui lui confère son aspect crépu.

Le mot Sparassis, quant à lui, est issu du grec sparassô : déchirer. Il est vrai que notre champignon : Sparassis crispa Wulfen : Fries, se délite en lambeaux dans la vétusté, notamment en hiver où on le trouve éparpillé autour de la souche et des racines nourricières.

Ce champignon est fréquent sur les conifères vivants ou morts, particulièrement à la base et sur l’humus produit par la décomposition du bois.

C’est un bon comestible jeune, vendu sur certains marché, mais il convient de le débarrasser soigneusement de la terre ou du sable qui se cache dans tous les replis de ses plis.

Sparassis brevipes = laminosa, plus rare, pousse sur les feuillus. Sparassis miniensis, surtout inféodé au Pin maritime, affichant des teintes roses à orangées, n’a jamais été observé dans le Berry.

(18 février 2021)

Du jaune au noir

Monsieur Victor était en tout et pour tout d’un blanc et d’un noir épatants. Il se peignait la moustache et les pattes avec du Niger pur – ce produit pour noircir les cheveux et la barbe. L’étiquette de la boîte de Niger portait l’inscription suivante : « Plus de barbes blanches ! Le Niger ! (H. & W. Haris, frères, Londres). Il prenait alors du bout de l’index du Niger pur et il se frottait ainsi du noir pur à la moustache et aux pattes. Quant aux cheveux, ils étaient travaillés deux fois par semaine au peigne de plomb et malaxés par le coiffeur à la teinture de noir d’ébène.

Jean Giono, L’Iris de Suse

Pour nommer et qualifier des champignons noirs, les mycologues eurent recours à plusieurs racines du mot noir, à diverses nuances et images de noir. Par exemple : le latin ater désigne un noir mat, le grec melas un noir intense, le latin piceus un noir de pois, le grec pelos un noir noirâtre, le grec erebos un noir des ténèbres et des Enfers, le grec skiôdês un noir sombre comme l’ombre, le grec nuktos un noir de nuit, et le latin niger un noir brillant.

Lorsqu’on découvre les reliefs noirs, brillants et déchiquetés de Phæolus schweinitzii (Fries) Patouillard au pied d’un pin, on est à mille lieues d’imaginer qu’il fut d’un jaune épais et onctueux comme une omelette baveuse.

(11 février 2021)

Frémissement jaune

Pourquoi dans plusieurs pays d’Europe, dont la France, les boîtes à lettres sont-elles jaunes ?

Pour être plus facilement repérables, certes. Mais aussi et surtout parce qu’en Europe, la poste fut créée et organisée dès les XVe et XVIe siècles par la grande famille italo-allemande Thurn und Taxis, dont le jaune était la couleur emblématique.

Michel Pastoureau, Jaune, Histoire d’une couleur

À quoi l’on pourrait ajouter : pour enluminer, égayer, enchanter l’hiver, pour donner de la joie à ses sombres frimas, pour apporter des touches de lumière et de chaleur dans la froidure de ses paysages dénudés.

Les boîtes à lettres et les voitures jaunes de la Poste y contribuent, mais aussi les lichens, les ajoncs qui fleurissent dès janvier, ainsi que les champignons : les hivernaux Hygrocybes jaunes – dits les Joyeux ! – et nos deux trémelles jaunes, la mésentérique et l’orangée.

Longtemps confondues, elles sont désormais faciles à séparer dans la nature, car elles ne parasitent pas les mêmes champignons. Tremella aurantia se nourrit sur des Stereum, et Tremella mesenterica Retzius (celle de la photo) sur un champignon en croûte : Peniophora quercina, rose à l’état sec, brun pourpre rosâtre à l’état humide.

(4 février 2021)