Hippomorphisme

Il n’y a pas que les orchidées, qui se montrent douées pour l’anthropomorphisme et le zoomorphisme.
Les orobanches se débrouillent fort bien, elles aussi, en particulier pour prendre la tête de cheval – d’un vrai cheval, ou d’un cheval du jeu d’échecs ou du jeu des petits chevaux.

Cette évocation ludique, ce rappel de la manière saccadée-croisée qu’a le cheval de se déplacer sur l’échiquier, ou le petit cheval à coups de dés, correspondent assez bien à la façon dont les orobanches sont disposées en nappe autour de la plante hôte.

Cet hippomorphisme, j’eus l’occasion de l’observer, entre autres, sur l’Orobanche de la Picride, l’Orobanche de la Germandrée et l’Orobanche giroflée (celle de la photo).

Plus fréquemment – voire presque toujours – au niveau de leurs fleurs, les orobanches miment un petit visage encapuchonné, dont les yeux inquiétants, jaunes ou rouges, semblent luire du fond d’une grotte.

L’Orobanche giroflée : Orobanche caryophyllacea Smith, partage plusieurs caractéristiques avec sa cousine l’Orobanche de la Germandrée* : stigmate rouge, poils glanduleux clairs, même sur la lèvre inférieure. Mais elle parasite le Gaillet mou, fait partir le filet de ses étamines dès la base de la corolle… et sent la Giroflée.

(24 juin 2021)

*Voir L’Écho du Berry du 17 juin 2021.

Le jaune et le rouge

C’est incroyable !

La jeune orobanche est jaune poussin – un vrai velours qui attire les caresses – pendant que l’adulte est rouge sombre.

Le jaune serait-il l’équivalent du rouge, et vice-versa ? Les puissants pigments jaunes seraient-ils à la lisière des puissants pigments rouges, tant et si bien que le jaune pourrait verser dans le rouge, et le rouge dans le jaune, sans mélange ni transition ?

Cela n’a rien d’étonnant, tant notre subjectivité les ressent comme des couleurs proches, et peut-être même identiques : le jaune nous apporte la lumière et la chaleur, le rouge nous fouette le sang, et tous deux nous bousculent et nous rechargent de vie – particulièrement en hiver et dans l’hiver de notre vie, à ces moments où nous en avons tellement besoin.

Ce choc du jaune et du rouge, je l’avais déjà ressenti une fois grâce à de tout jeunes Bolets Satan, dont les pores sont brièvement jaune vif avant de verser dans le rouge sang.

La détermination précise de notre orobanche passe par l’observation de son stigmate, rouge vineux, de ses poils glanduleux clairs, présents même sur le bord de la lèvre inférieure, par l’examen minutieux du filet de ses étamines, inséré à 3-5 millimètres de la base de la corolle, et par sa proximité avec les petites feuilles luisantes et dentelées de la Germandrée petit-chêne, qui est sa plante hôte.

Cette merveille : Orobanche teucrii Holandre, se laisse admirer et effleurer à peine du bout du doigt, au Bois-du-Roi près d’Issoudun.

(17 juin 2021)

Roses graminées

De nombreuses graminées affichent une prédilection pour la couleur rose. Et quand elles sont en densité dans une prairie ou sur le bord d’une route, elles forment des faciès roses visibles de loin.

Mais il y a rose et rose.

La Houlque laineuse ondoie dans les prés en une mer vieux rose gouaché de blanc. Le Brome stérile enfle la lisière des cultures, et parfois des trottoirs dans les villes, de ses bourrelets rosâtre lie de vin. Les agrostides frémissent dans les prés de leur dentelle rose rougeâtre. La Canche flexueuse se faufile, telles des anguilles rose argent, parmi le rose vif des Bruyères cendrées ou le rose parme des Callunes. L’Avoine pubescente fait danser ses épillets rose argentin à contre-soleil, pendant que la Puccinelle distante déroule ses tapis rose intense le long des routes du Massif Central.

Et notre petite Canche caryophylle : Aira caryophyllea Linné, colore les talus de terre nue de ses épillets rose vineux scintillant comme des écailles de poissons, et de ses chaumes luisant de rose-orange.

Notre charmante graminée présente des épillets à deux glumes, qui enferment les deux fleurons munis d’une touffe de poils courts à leur base et dont la lemme est dotée d’une arête coudée sur le dos. Ceci était pour le clin d’œil scientifique… la voilà déjà qui repart dans sa danse rose.

(10 juin 2021)

Une Tête de champ

En effet… avec un brin d’imagination, son chapeau pâle et rond peut suggérer une tête qui émerge de l’herbe. Et c’est précisément parce qu’elle émerge de l’herbe verte qu’elle évoque une tête.

Ainsi l’imagina le mycologue suisse Victor Fayod (1860-1900), qui créa le genre Agrocybe (du grec agros : champ, et kubê : tête).

Notre espèce particulière se vit attribuer le qualificatif de dure – ce qui est injustifié car elle est seulement d’une fermeté souple dans la jeunesse.

Mais elle eut d’autres noms (douze au total), sautant d’un genre à l’autre, du féminin au masculin et vice-versa, et revêtant des qualificatifs divers et variés, selon l’entière subjectivité des nominateurs.

Ainsi fut-elle qualifiée de désagréable, déplaisante (molesta), ce qui est injuste car si notre champignon n’est pas une star, elle n’en arbore pas moins une élégante silhouette, et le contraste blanc – de son pied et de son chapeau – avec le gris-brun de ses lames, touchées de lilas profond, est du plus bel effet.

Elle s’appela aussi Agrocybe vermiflua, eu égard à sa marge appendiculée, d’où semblent couler de petits vers.

Son nom actuel est Agrocybe dura (Bolton) Singer. Elle ressemble à l’Agrocybe précoce, aux spores plus petites.

Toutes deux, non comestibles, résolument vernales, sont faites pour aguicher le regard des mycophiles… avant les grandes poussées de l’automne.


(3 juin 2021)